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Pollo Mundo
7 février 2018

La crise de la quarantaine des rappeurs

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Booba a quarante-et-un ans. Rohff en a quarante. Sinik pousse les trente-sept avec difficulté, on voit bien qu'il fume trop, qu'il a eu quelques années difficiles. Kaaris a trente-huit ans mais a la fougue en l'enthousiasme d'un jeune homme, comme tous les artistes qui ont percé sur le tard. Le sablier se retourne, d'une année à l'autre, et les grains de sable tombent commes des jours, inexorablement. Nos rappeurs préférés vieillissent, des carrières faiblissent ou s'arrêtent, d'autres s'élèvent ou se relèvent, mais chacun d'entre eux doit faire face à la fuite du temps. Il est intéressant d'observer comment les rappeurs vieillissent, dans un milieu qui encense la force, la jeunesse et la domination. Comment vieillir ? Peut-on bien vieillir ? Je vais parler de Booba, Kaaris, Rohff et Sinik. Chacun d'entre eux a sa manière de gérer la quarantaine qui vient, ou est déjà là. 

Booba est en pleine crise de la quarantaine. Il poste sur Insta des stories où on le voit pousser à la salle, en sueur, puis prendre des poses avantageuses en pleine constriction musculaire, comme un jeune homme qui veut impressionner sa copine. Comment se sent-on quand la copine qu'on veut impressionner, ce sont deux millions de followers? Booba a enfin pris un coup de vieux. Il était temps. La génétique ne peut pas être aussi clémente. Il a quelques rides qui apparaissent ici et là sur le visage. le temps qui passe hante Booba depuis ses débuts. De Mauvais oeil (J'perds mon temps) à Trône, tous ses albums sont hantés par cette horloge, ce sablier. Booba a passé sa vie à guetter le temps. "Retiens la nuit", chantait Johnny. Retiens le temps, voudrait chanter Booba, mais il n'y parvient pas. Il a un rapport trop viscéral au temps, cette force que ce maniaque du contrôle ne peut contrôler, et en retire une grande nostalgie et un rapport double, on peut même postuler qu'une bonne partie de son oeuvre fut centrée sur la graduelle acceptation de cette invincible force. Pas le temps pour les regrets est chantée par un jeune homme. Douze ans plus tard, après avoir enterré sa mère et son meilleur ami, il chantera : "Souvent je pense à la tess man, j'ai pas vraiment la pèche." Et on le voit aussi dans ses clashs sur internet. Des petites piques, des photoshops humiliants de Rohff, que je regarde en rigolant et en me disant " mais quel gros gamin!" Quel adulte fait cela? La crise de la quarantaine ressemble à la crise d'adolescence. La première était une rébéllion devant l'imminence de l'âge d'homme, la seconde est une rébellion contre la vieillesse qui approche, et la mort. Booba est sauvé par son oeuvre, qui fait la part belle aux réflexions sur le temps, mais les selfies à la salle de sport à quarante-et-un an, c'est gamin quand même. Les hommes restent à jamais des enfants, de plus en plus scandalisés à mesure que le temps leur enlève, lentement mais surement, tout signe physique de cet état mental. Il lutte comme il peut, il lutte encore bien. S'entoure de Niska, Damso, Kalash, les jeunes loups du hip hop. Il monte des business de daron. Une chaine de télé, un parfum, une marque de whisky. Booba arrive plutôt bien à s'en sortir dans la vieillesse qui vient. je soupçonne que c'est grâce à ses textes, qui lui font comme une psychothérapie. "J'ai pas besoin d'un psy mais d'un avocat."

Kaaris est un gros gamin. On peut l'entendre, sur Bling bling, jeune ado qui n'a jamais grandi, qui n'a jamais eu d'autres rêves que palper des billets, rêves que partagent les voyous et les artistes, qui sont feignants. Quand même, il faut se poser la question de la légitimité d'un homme de trente-huit ans à rapper des textes comme "j'veux une chicha gout teuhmen" ou encore "Tu m'allumes comme un bedo, t'es ma flamme." Kaaris apparait, sur son dernier album, comme refusant absolument l'idée du temps qui passe, qu'il refoule au plus profond. Cela donne une attitude et des punchlines d'adolescent, et fait que Dozo a la faiblesse des oeuvres qui ne s'atttaquent pas à des problématiques réelles. C'est un album un peu cynique au fond. Où un presque quadragénaire utilise des codes d'ados pour leur faire débourser l'argent de leurs parents. Mais est-ce vraiment du cynisme ? Kaaris, en interview, semble honnète. Il dit être plus heureux qu'il ne l'a jamais été. Sa fille, le succès, l'argent, enfin. Après des années dans les tranchées, il a trouvé le bonheur. Il justifie ainsi l'absence de fond de son nouvel album, conscient des limites de ce dernier. Il faut le voir essayer de justifier sa chanson Tchoin, c'est hilarant. Il n'arrive même pas à garder un visage sérieux. Quoi qu'il en soit, la réaction de kaaris face au temps qui passe est différente de Kopp. Il choisit d'ignorer totalement le problème en se plongeant dans une éternelle adolescence, choix qu'on peut comprendre, quand on pense au temps qu'il lui a fallu pour arriver ou il en est. Il veut rattraper l'hédonisme de la jeunesse, perdu dans des années à charbonner. Il a Booba dans le viseur, c'est très clair avec son nouveau clip, dont les sons et les visuels empruntent clairement aux derniers sons en date du duc. On se demande même si il ne fait pas ça exprès pour l'emmerder. Ça marche sur la forme, mais sur le fond, Dozo est faible. On entend dès le début de la chanson les poncifs de Kaaris "Faut qu'on fasse du wallie" "Tu veux ma chicha" "rapapapapapa". Kaaris avait bien besoin de se refaire commercialement depuis ses semi-échecs, mais ce serait bien qu'il nous redonne un or noir pour le prochain. Entre kaaris, Rohff et Booba, ce ne sont que des petites vacheries d'ados. En témoigne le screenshot de Kaaris montrant diarabi en numéro 1 des charts. On entend presque un "Sheh !" adressé à son ainé de deux ans. 

Rhoff traverse le désert depuis bientôt dix ans. C'en est douloureux à voir. Chaque nouveau projet est plus désespérement mauvais que le précédent. Il n'a, tel un ado en difficulté, aucun contrôle sur ses émotions, et ses émotions sont principalement négatives. C'est compréhensible, pour un rappeur qui fut, il y a plus d'une décénnie de cela, réellement au sommet de son art, et qui a contribué de manière significative à l'Histoire du Hip Hop en France. Tous les gens de mon âge se rappellent de TDSI, qui l'a projeté dans le mainstream. Mais au fond, son coté voyou de banlieue l'a plombé, petit à petit. Il est rentré dans les clashs avec Booba juste après Sinik, qui avait retenu la leçonn et n'a continué à exister que grâce à eux. Position intenable pour la psyché, de savoir que l'on existe que parce que celui qu'on voit en rival prend le temps de vous répondre. Ses albums ne marchent pas, ses sons sont baclés et fatigués, et surtout, terriblement anachronique. Voir "Soldats", ou il ose porter une casquette Von Dutch en 2017. Ses sons sont majoritairement dislikés par rapport à ceux d'un Damso ou d'un Lomepal, mais la dessus, Booba n'a rien à lui envier, il suffit de jeter un oeil au nombre hallucinant de dislikes sur sa chanson Friday. Rohff semble néanmoins coincé dans une posture de mauvais élève, qui subit constamment la comparaison avec Booba. Sa marque de vetements ne marche pas et ses albums ne se vendent pas, les chansons qui sortent sur youtube montrent un rappeurs coincé en 2005. Comme tous les petits voyoux, il se console, et tente de masquer les insuffisances de sa carrière en s'affirmant validé par la street "J'suis un thug réel, t'es une teub virtuelle". Il va tabasser un jeune vendeur en stage dans la boutique de son rival, passe son temps à aller et revenir devant la justice. La quarantaine venue, Rohff semble, plus que tous les autres, en pleine crise d'identité. Il va jusqu'à sortir "détrôné", juste après la sortie de Trône, prouvant douloureusement qu'il ne peut plus exister sans Booba, qu'il déteste. Et bien sur, ses textes s'en ressentent. Ce n'est qu'un longue et infructueuse tentative de rappeler à tout le monde qu'il est encore le meilleur, alors que tout le monde voit qu'il est dépassé, et par la jeune garde, et par les autres rappeurs de son époque qui ont su se renouveller. Obsédé par Booba, chacune de ses chansons en parle au moins une fois ou deux. "Champion du rap toute catégorie" Oh Rohff...

Sinik a eu la chance de connaitre un énorme succès, puis de retomber en anonymat quasi complet, sans jamais parvenir à se rehisser au sommet d'où il partit. Je dis chance, car cela lui a donné un regard tout différent que ces collègues. Il a explosé en 2004 avec En attendant l'album, et est retombé quatre ans plus tard, en 2008. La raison est simple. Sinik rappe très bien. Son flow est technique et ses thèmes sont engageants, nul ne peut le lui enlever, mais il rappe toujours de l'exacte même manière. Alors au bout de quatre albums, on s'ennuie. C'est ce qui s'est passé. De fait, Sinik a passé la majeure partie de sa trentaine à accepter que ses grandes heures étaient derrière lui. Il a sorti album sur album, sans jamais retrouver le succès, et a du endurer en silence les humiliations que lui envoyait régulièrement Booba gratuitement "Enfin débarassé de Pokora, Diam's et Sinik" jusqu'à ce son avec Médine, ou il fait la paix avec sa carrière, avec ses échecs. Sinik, aujourd'hui, semble être devenu un adulte équilibré. Il commente le foot sur france Bleu et est gérant d'un salon de tatouage. Il a laissé le rap derrière lui, plus ou moins, et a su affronter la vie. Elle lui a laissé des traces. De tous les rappeurs quadra dont je parle ici, il est le seul qui assume pleinement ses échecs, il est aussi celui qui a l'air, physiquement, le plus vieux. Loin de l'insouciance suspecte d'un Kaaris ou de l'orgueuil déplacé d'un Rohff, il parle de son passé, de ses insufisances et de ses échecs. Avec une certaine amertume, mais honnètement. C'est la marque d'une maturité qui ne peut venir qu'en regardant son parcours  dans les yeux, ce que Rohff n'a aucune envie de faire, ce que Kaaris n'a pas le temps de faire, tout occupé qu'il est enfin jouir, et ce que Bobba n'a pas besoin de faire, n'ayant jamais réellement connu l'échec. 

Pour finir : Il me semble que c'est Booba et Sinik qui gèrent le mieux leur crise de la quarantaine. Peut-on d'ailleurs parler de crise pour Sinik ? Il a sans doute eu une décénnie difficile, et est d'ailleurs bien plus marqué par la vie que les autres, mais c'est un adulte, un vrai, qui vit dans la vraie vie. Il ne poste pas de photos de lui en train de sérrer les biceps, ou de prendre un avion en first, et ne s'est pas résolu à parler de Tchoins dans ses chansons. Il n'a pas eu le même succès, et je ne pense même pas que ce soit injuste, sa musique est devenue assez chiante assez vite. À l'entendre, lui non plus ne considère pas ça comme une injustice. Booba, lui, a des intérets financiers à rester jeune, et comme il vénère l'argent, il reste jeune. Et comme il a de l'intuition, plus que les autres rappeurs, il reste dans le coup. Il n'est pas dans le déni du temps comme Kaaris, il n'est plus ce jeune violent que Rohff est resté. Il est un artiste et un entrepreneur accompli. Si ses récentes excursions dans le fitness game, à quarante-et-un ans, nous disent qu'i se débat lui aussi avec une perte de physique, qu'il s'agit de compenser en poussant de la fonte et en postant des photos sur les réseaux, il a son âge, et ne s'en cache pas. On peut le voir porter des lunettes, comme le beau vieux qu'il est en train de devenir. Si sa carrière est, de loin, plus resplendissante que Sinik, je peux voir des similitudes dans leur manière d'accepter le train de la vie. Ce n'est pas la même chose pour Rohff et kaaris, qui semblent, l'un sur le mode majeur, l'autre sur le mode mineur, coincés dans une expression permanente de jeunesse et d'immaturité. Physiquement, ils vieillissent bien, mais ils vieillissent, et l'écart entre ce qu'ils revendiquent et ce qu'ils sont continue à grandir, leur laissant de moins en moins de marge de manoeuvre. Kaaris est dans une dynamique de succès, ce qui sauve son âme, pour l'instant. Mais quand je vois le personnage de Rohff, j'ai l'impression de voir un ado attardé de quarante ans, paumé dans sa colère et ruminant sa rancune. 

Ce n'est pas facile de bien vieillir, on pourrait même arguer que c'est impossible. Mais nous allons tous passer par la. Et puis nous allons mourrir. Alors tentons de faire ça bien, et d'accepter avec grâce ce que la vie fait de nous. 

 

 

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