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Pollo Mundo
25 août 2018

Amélie Nothomb est un monstre


ni-deve-ni-dadam

 

... Un monstre de talent. Elle publie, chaque année, sans coup férir, un petit roman glaçant qui se lit en une heure. Deux, si l'on est un lecteur lent. J'ai la mauvaise habitude d'imaginer que le génie est incompatible avec la régularité. Comment pourrait-on faire paraitre un roman génial par an ? Impossible. 

Et bien en fait, si. Possible, pour Amélie Nothomb. Sa recette est connue, reconnaissable entre toutes, comme une chanson de Brassens. Si on essayait ce l'imiter, on ferait sans doute du mauvais Amélie Nothomb. Tout comme ceux qui émulent Brassens font du mauvais Brassens. Mais au fond, quelle est la recette d'Amélie Nothomb ? 

Un titre étrange, pour commencer, impossible d'imaginer un roman d'Amélie Nothomb sans un drôle de titre, intriguant et malaisant à la fois, qui préfigure l'expérience courte et intense que constitue la lecture de ses ouvrages. Petit florilège : "Cosmétique de l'ennemi", "Hygiène de l'assassin", "Stupeur et tremblements", "Métaphysique des tubes, "Acide sulfurique", ou encore, pour le dernier en date, le vingt-septième de sa longue carrière, "Les prénoms épicènes. 

Le dernier Nothomb que j'ai lu, c'était bien au lycée je pense.  Biographie de la faim, ou Stupeur et tremblement, peut-être Cosmétique de l'ennemi? je me rappelle de l'angoisse sourde qui me prenait à la lecture de ses livres. Un petit relent sexiste me l'avait fait ignorer jusqu'à la première ou la terminale, alors que mes amies m'en disaient le plus grand bien. 

Les obsessions d'Amélie Nothomb : Les prénoms, signe, marque du destin, malédiction. On en trouve toujours des incroyables. ici, pas d'exception. On a une personnage appelée "Reine", et une autre appelé "Épicène", un prénom épicène est un prénom qui s'applique à la fois à un homme et une femme. La violence masculine plane comme une ombre au dessus des trois protagonistes féminins de ce livre. Histoire d'une vengeance, de la vengeance d'un homme contre une femme qui ne l'aime pas. Vengeance qui mettra vingt ans à s'accomplir, pour échouer lamentablement. 

On croit qu'on va lire le destin de cet homme qui se venge, il n'en est rien. On va lire le destin de la femme qu'il prendra et de la fille qu'il aura. Ce sont elles, les protagonistes. Ce sont leur sentiments et leur épreuves, leurs joies et leurs peines qui sont réelles. L'homme qui se venge croit être le seul à exister, méprise sa femme et hait sa fille. En réalité, c'est lui qui n'existe pas. Sa personalité est toute entière dissoute dans cette vengeance au long cours qui ne l'amène à rien. 

Sa femme et sa fille seront comme anésthésiées, l'une limitant son energie, l'autre ses sentiments, pour accomoder l'homme ou s'en protéger. Lorsqu'elle seront libérées de son emprises, c'est comme si leur personnalité, dormante, en état de mort clinique, s'éveillait. Elles changeront du tout au tout. L'une deviendra sociable, l'autre énergique et pleine de ressource. L'homme, lui, s'éteindra totalement. La vengeance le tenait debout, le faisait vivre, respirer. Il ne s'en relèvera pas et c'est bien fait. 

Le livre, comme tous les Nothomb, est bien écrit, emmené de main de Maître à toute vitesse vers son inévitable conclusion. On survole vingt ans de vie en une heure de lecture et ce n'est jamais trop rapide. Il n'y a pas un mot de trop. Amélie Nothomb, de ses années japonaises, n'a gardé que des qualités. L'économie, le geste juste. On peut l'appeler Sensei. Elle pourfend des démons cachés en nous, dont nous n'avons pas consciences. Son katana est sa plume. C'est sans doute pour ça que la lecture est douloureuse. Quel exorcisme ne l'est pas ? 

Amélie Nothomb a lu Checkov. Si un pistolet est posé sur une table, il doit servir. Une vengeance réussira. Pas celle qu'on pense, pas comment on l'imagine. Il faut lire ce petit roman enlevé, malaisant, accrocheur et génial, décortiquant en peu de mots, avec une maestria éffrayante, les thèmes de la paternité, de la vengeance, de la masculinité toxique, de l'importance d'être soi-même, de l'ego et  ses stratagèmes.

On peut en vouloir à Nothomb d'être aussi douée. Il ne faut pas. On pourrait lui en vouloir de savoir manier si bien nos émotions et de se délecter dans le glauque et le malaisant. Il ne faut pas. En tant qu'homme, Amélie Nothomb me met devant ce sexisme inconscient dont je peux parfois participer sans m'en rendre compte, dont je suis complice, acteur, et comme tout le monde, victime. Cette gloriole qu'il m'est imposé de vouloir par ce qu'on appelle, parfois abusivement, cette société patriarcale. 

Nothomb pourfend la gloriole et l'ambition idiote au profit de l'intelligence de l'esprit et du coeur et de l'importance d'exister. On existe pas quand on danse sur la partition d'un autre. Toute son oeuvre, je crois, après la lecture de ce magnifique petit roman, existe pour nous inciter à être nous-même. Ça peut sembler banal, voire un peu petit. Mais au fond, n'est-ce pas l'ambition de toute littérature? 

 

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