Cette année
Cette année je me suis fait opérer de l'épaule. Je me réveillais la nuit de peur qu'elle sorte de ses gonds, comme une porte mal encadrée. Le chirurgien m'a dit "Vous pouvez vous faire opérer ou passer votre vie coude au corps mais vous êtes jeune, je considérerais l'opération si j'étais vous."
Le 27 Février 2018, je suis allé dans la clinique Jouvenet. Je me suis installé dans une petite chambre avec un gars qui se faisait opérer la cheville. Un vieux briscard des opérations, ça ne lui faisait pas peur du tout. Il avait l'air seul. Il parlait au téléphone avec sa soeur et je comprenais qu'il n'avait personne pour s'occuper de lui après l'opération. Je me suis dit que ça devait être terrible, de sortir de l'hopital et de n'avoir personne, je me suis dit que j'avais de la chance d'avoir Carine.
Cet année, Carine et moi nous sommes séparés deux semaines.
Le jour de l'opération, un infirmier est venu me voir avec un brancard, je me suis installé dedans et il a mis une couverture de survie dorée au dessus de moi. J'ai commencé à avoir peur mais plus rien n'était de mon ressort, il n'y avait qu'à laisser le monde continuer de tourner. Je pensais que je pourrais mourrir sur la table d'opération. C'était une pensée éffrayante, mais ça ne me dérangeait pas plus que ça. On a pris l'ascenceur. On est arrivé dans la salle pré-opératoire, qui, maintenant que j'y pense, devait aussi être la salle post-opératoire. C'était bleu-vert, il y avait des lits et des machines médicales un peu partout. Des fils qui rentraient dans le nez des gens et des pansements. Une odeur particulière. Fade et synthétique.
Cette année, j'ai vu l'Irlande. J'ai vu un vieil ami se marier, des vaches patibulaires et de la pelouse bien verte.
Après quelques minutes, on a déplacé mon brancard dans une autre salle. Un petit homme trapu, d'environ un mètre Soixante, au gros bras poilus, est venu se présenter à moi. Je ne sais plus son nom. C'était l'anesthesiste. Il avait une chaine en or autour du cou et il était jovial. Il avait la soixantaine musclée. Je lui ai souri, comme je fais dans les situations stressantes, et ça lui a plu. "Ah ! Vous êtes pas comme l'autre la avant vous, il chialait comme un gamin, enfin, on a plus quinze ans !" Ensuite il m'a demandé si j'avais bu ou fumé des cigarettes avant l'opération, je lui ai dit que non, pas depuis deux semaines, mais que j'avais fumé un joint quelques jours avant. Il a rigolé et m'a dit qu'avec le cocktail de bienvenu qu'il m'avait préparé, j'allais voir des étoiles, "mieux que le pétard".
Cette année, j'ai rendu visite au patron des éditions JC Lattès, elles sont rue Jacob dans le Sixième. Je m'y voyais déjà. Ça faisait la quatrième fois que j'y allais. J'avais déjà retravailé le manuscrit trois fois avec Anne-Sophie. Laurent Laffont voulait que j'appelle mon livre "L'appartement". C'était en Mars ou en Avril. En mai, j'ai signé un contrat d'édition disant que je devais rendre un manuscrit fini le 31 Octobre. Je trouvais que c'était beaucoup trop long. Depuis, mon manuscrit fini prend la poussière à J.C Lattès. J'ai très peur qu'il ne sorte pas au final. Qu'on me fasse tourner en bourrique jusqu'à ce qu'on me dise " Tu sais, finalement, ce n'est peut-être pas le bon moment pour sortir ça." Que la destinée, une fois de plus, glisse sous mes pieds comme un tapis. Un sentiment de colère, de frustration et d'impuissance lancinant s'est mis à entourer toute cette affaire. À chaque fois que j'y pense à présent, une colère sourde me serre le coeur.
L'infirmière ne trouvait pas ma veine, il a fini par prendre la seringue et m'injecter son produit. WEEEEEEEEEEE je me suis senti partir en arrière, complètement défoncé, plus inquiet du tout. "Qu'est ce que vous mettez dans votre cocktail?" Je lui ai demandé. il m'a dit : Valium, et Ketamine. La chance. On m'a avancé jusqu'à la table d'opération, et tandis que je divaguais, deux grands gaillards m'ont soulevé du brancard pour me placer sur la table. J'ai vu mon chirurgien, je l'ai reconnu même avec son masque. Je lui ai dit bonjour. La dernière chose dont je me souviens, c'est la vision de l'anesthesiste qui me pique au bras. Il m'a dit, "À tout-à-l'heure." Le temps que je lui réponde, j'avais déjà sombré.
Cette année, j'ai eu l'idée d'un podcast, un podcast qui s'appellerait Toutes sortes de gens, dans lequel je donnerais la parole à des gens venus de tous les horizons, car tout le monde a quelque chose à aprendre à tout le monde. Aucun parcours n'est sans leçon. J'ai proposé l'idée à mon frère qui est à l'IESA, et il a dit oui. Trois semaines plus tard, j'interviewais Jonathan Dos Santos et Jennifer Rihouey. C'était en Novembre 2018. Jonathan est le premier invité du Podcast, il en est en quelque sorte le parrain. Vivien nous a trouvé du matos pour enregistrer et nous a fait un wordpress. Il est un peu autoritaire des fois. Je ne sais pas lui dire sans le vexer. Enfin. Bosser avec son frère c'est une chance. Voir son petit frère devenir un adulte capable est une chance encore plus grande.
Je me suis révéillé alors qu'un tube me remontais de la gorge. J'ai toussé un peu. Je n'arrivais pas à respirer à cause de l'anesthesie. Un médecin devant moi avait un bouquin. Je lui ai demandé ce qu'il lisait. Il m'a répondu, mais je ne me souviens pas. Un livre de Yasunari Kawabata ? Peut-être. On m'a laissé récupérer une demi heure, et on m'a ramené dans la chambre. Je pensais qu'on me blinderait de morphine, mais j'ai eu droit à du doliprane à la place. Décevant. J'ai passé ma première nuit post-opératoire à regarder des vidéos sur mon téléphone, des vidéos de Lindsay Ellis.
Cette année, j'ai écrit un court-métrage et j'ai trouvé quelqu'un pour le réaliser. Mélissa, la réal, voulait qu'on réécrive la première version. Elle m'a preté de superbes livres sur l'écriture de scénario. C'était très interessant. Du coup j'ai réécri le script, différement. Elle ne l'aimait plus, elle trouvait que ça faisait trop français. C'est vrai que le film tient surtout avec les dialogues. C'est l'histoire d'un poisson rouge qui parle comme une racaille de banlieue. Il va essayer de rendre sa dignité à un looser qui boit et fume trop. On écrit sur ce qu'on connait, comme le dit Booba. Mélissa va sans doute, à un moment, me dire qu'elle ne veut plus réaliser ce film. Ce n'est pas grave, j'ai quelqu'un d'autre en tête. Mélissa et moi finirons bien par faire quelque chose ensemble. Sébastien serait bien pour le faire, il a un bon oeil. J'avais prévu le coup de pute de l'existence. J'avais prévu de demander à Seb de le faire au cas ou ça tomberait à l'eau avec Melissa. On me la fait pas à moi. Dix ans que je m'escrime à taper contre des murs.
Tout le mois de Mars, je l'ai passé à dormir, en prenant des anti douleurs ultra puissants. J'étais défoncé toute la journée. Allongé sur le canapé, je lisais et je dormais. Tous les deux, trois jours, une infirmière venait refaire mon pansement. Carine m'aidait à me doucher.
Cette année, je me suis demandé si les gens me trouvaient radin. Je n'ai pas osé poser la question, de peur de la réponse.
Après, ça a été trois mois de rééducation très douloureuses, avec des hauts et des bas. Il faudrait en parler en détail. Un jour peut-être.
Cette année, j'ai fait de la guitare quelques mois après l'opération. Mon épaule me faisait mal, et je me sentais très faible. Globalement, la convalescence ne fut pas tranquille. J'ai beaucoup grossi, je buvais encore pas mal. Je ne pouvais pas jouer longtemps. J'avais très peur d'avoir perdu mon jeu pour toujours. Mais il revient, petit à petit. Le secret, c'est de travailler la technique et la théorie en même temps. C'est comme ça que le feeling revient.
Six mois après l'opération, j'avais toujours des faiblesses mais globalement ça allait mieux. Le chirugien m'a déclaré apte au sport à nouveau. J'ai fait beaucoup de pompes depuis Septembre.
Cette année, j'ai guéri ma boulimie en allant voir une psychologue non conventionnée. Je me suis rendu compte que le problème qui se cachait derrière, c'était la colère. L'année prochaine, je reglerai mon problème de colère.
J'ai offert un énorme bateau pirate à mon filleul, et regardé avec delectation son copain se mettre à pleurer de jalousie. Joyeux anniversaire.
En Aout, j'ai trouvé un travail. En Décembre, je me suis fait virer. Je voudrais en parler mais ce n'est pas vraiment fini donc motus et bouche cousue. Un jour oui, j'en parlerai.
Cette année, j'ai écrit quarante-huit articles. Peut-être quarante-sept, peut-être quarante-neuf.
Merci de m'avoir lu. Et à l'année prochaine.