« Pourquoi s’en faire une montagne ? On rentre, on sort, on est riche. Qu’est ce que tu ne comprends pas dans le plan? On a un coup à jouer et on le joue. On a un chauffeur, un forceur de serrure, on a même un hacker pour brouiller Internet et les lignes téléphoniques, enfin quoi c’est du tout cuit ! Je ne sais pas pourquoi tu t’inquiètes, ce n’est pas comme si on avait jamais fait ça ensemble. »

Carine avait un point en sa faveur, ce n’était pas le premier braquage qu’ils effectuaient, et à vrai dire, ils s’en étaient toujours très bien sortis. Si il y avait un classement international des meilleurs braqueurs, John et Carine seraient probablement dans le top cent, voire le top dix. Mais cette fois, les conséquences étaient plus sérieuses, les enjeux plus élevés et elle le savait bien.

« _Je ne sais pas Carine, lui répondit-il, j’ai un mauvais pressentiment avec celui là. C’est notre dernier braquage, ce sera forcément le plus dur. Et puis après, c’est fini. Il faudra trouver quelque chose de nouveau à faire, s’occuper l’esprit. Je ne sais pas si je suis prêt à abandonner cette vie. C’est peut-être juste la nostalgie des premiers braquages qui me revient aussi. À l’époque tu te rappelles, on avait un type dans un vieux van, un malheureux pétard à peine bon à effrayer une vieille à nous donner son sac à main, et on y allait à l’insouciance, et le pire c’est que ça marchait.

Il entendit Carine rire dans le combiné.

_ Oui enfin, ça n’a pas toujours marché, remarqua t’elle.

_ Mais nous nous sommes toujours relevé, lui répondit-il. Tu te rappelle le masque à gaz qu’on avait pour le premier braquage ?

_ Comment l’oublier ? C’était une de nos meilleures idées. Je comprends ton sentiment John, ce n’est pas comme si je n’y avais pas pensé moi-même, mais toutes les bonnes choses ont une fin. Les voleurs qui ne savent pas raccrocher ne finissent pas leur carrière dans un manoir dans les Hills. Pense à Carl. Voilà l’exemple d’un mec qui a su s’arrêter à temps.

_ Un mec un mec ...

_ Tu vois ce que je veux dire.

_ Écoute, tout est prêt maintenant. On va le faire ce braquage c’est sûr. Ne t’inquiète pas pour moi, je serai prêt le moment venu. On maintient alors ?

_ 15h pile chez moi. Je me charge des préparatifs. Souris un peu John, la vie est belle.

_ Je t’embrasse Carine, ça m’a fait du bien de te parler.

_ À tout-à-l’heure »

John raccrocha et contempla le plafond de sa vieille chambre pendant quelques minutes. Il entendit sa mère l’appeler en bas. Il descendit les escaliers, vit les photos de famille accrochées au mur. Il eut un petit pincement au coeur. Sa mère avait préparé le repas. Comme tous les jours depuis qu’il était là. Sa pauvre mère. Elle ne connaissait rien de son autre vie. Elle qui le prenait pour un simple étudiant en droit, alors qu’il était tellement plus. Il l’embrassa sur la joue. Il savait qu’elle aimait quand il lui montrait de l’affection, et ça ne lui coutait rien. Ils ne se voyaient plus si souvent depuis qu’il était parti pour la fac. Il s’assit à table et sa mère lui servit des pommes de terre à la ciboulette arrosées d’huile d’olive. Il se servit un verre d’eau et en servit un à sa mère. D’autorité, elle lui versa une portion de boeuf, qu’elle avait mijoté dans du vin rouge. Il n’osait pas lui dire qu’il était végétarien à présent. Qu’est-ce qu’elle en penserait ? Il

mangèrent en bavardant, interrompus en milieu de repas par son petit frère qui venait de se réveiller. Il bailla en se grattant le dos et s’étira de tout son long. John se demanda à quel moment ce comportement lui était devenu antipathique, alors qu’il faisait exactement la même chose au lycée. Son frère s’assit à table sans dire bonjour à personne, l’air encore embrumé.

« Mmmhh Qu’est ce qu’il y a à manger ? _ Des pommes de terre mon chéri, sers-toi. »

John pensa que sa mère ne l’aurait jamais laissé descendre en pyjama et mettre ses pieds sous la table en baillant, mais il se trompait. Il l’avait fait la plupart de ses week- ends de lycée. Sa perception du présent altérait ses souvenirs. C’est fréquent. Il mangea une orange pour le dessert. Il laissa sa mère lui éplucher. Elle le regardait tendrement, disant que ça avait été trop court. Il ne fallait pas hésiter à revenir plus souvent. Son frère était sur son téléphone. Il promit à sa mère d’essayer. Son frère, un peu plus éveillé, lui expliquait à présent avec enthousiasme les règles de l’escrime, dont il avait commencé la pratique dans l’espoir de gagner des point supplémentaires. Il ira bien, se dit John, voyant, rassuré, qu’il prenait soin de lui et de son avenir. C’est lui qui fit le café, et, comme il en avait le souvenir, il était bon, bien qu’un peu fort.

Vers 14h, il sortit de table. Je vais voir Carine, leurs-dit il. « Elle te manque hein ta copine ? » Lui sourit sa mère. John chassa cette remarque d’un revers de la main, en souriant aussi. Elle ne sait pas, pensa-t’il, elle ne sait pas tout ce qu’on a vécu. L’adrénaline, le danger, la récompense. C’était un monde que sa mère ne comprendrait jamais. Inutile d’essayer de lui en parler, ça ne lui amènerait que des soucis.

Il sortit de la maison et ouvrit le garage. Il prit son vieux vélo. Après avoir refermé le garage, il l’enfourcha et se mit en route vers les rues de sa ville natale. Il salua la vieille voisine de la main, puis se résout à descendre de son vélo pour lui faire un brin de causette. Qui sait avant combien de temps il la reverrait? C’était une prof de sport à la retraite. Elle lui parla de ses genoux qui la faisait souffrir pendant les marches quotidiennes qu’elle s’imposait. Quand elle lui demanda de ses nouvelles, il lui dit, non sans fierté, qu’il avait majoré son semestre. « J’ai toujours su que tu avais du potentiel. Tu n’étais pas feignant ça se voyait. » Je suis fière de toi. Cette phrase lui fit chaud au coeur. Il lui fit la bise en partant.

Il coupa par les bois pour rejoindre l’autre côté de la ville ou vivait Carine. Il repassa devant leur ancienne cabane qui, miracle, tenait encore debout. Rien n’avait vraiment changé. Il y avait juste ... Comme une nappe de nostalgie, qui s’était installée dans les lieux de son enfance. Ce n’était plus tout-à-fait pareil. Ce ne serait plus jamais pareil. Il arriva un peu en avance devant la maison de Carine, alors il s’assit au coin de la rue pour prendre un café chez Joe. Il aurait bien bu une petite bière, mais il aurait besoin de toute sa tête dans l’heure qui suivrait. Ce soir, pour fêter leur butin. Ce soir il se saoulerait avec son amie d’enfance.

À quinze heures pile, il sonna à la porte de son amie, qui lui ouvrit en souriant. Il se prirent dans les bras, et il la suivit dans le couloir. Tu es prêt ? Elle lui demanda en se retournant vers lui avec un sourire. Ce sourire lui fit comme un pincement au coeur, sans qu’il sut pourquoi, il ne voulu pas creuser ce sentiment. Il fallait garder la tête froide. Je suis prêt, lui répondit-il. Ils descendirent l’escalier qui menait au sous-sol.

Ils s’assirent sur le vieux sofa rouge qu’ils avaient récupéré quelques années plus tôt, dans la décharge à la sortie de la ville. Le lendemain, John retournerait à la fac. Il observa cette pièce dans laquelle il avait passé tant d’après-midis. Combien lui en restait-il ? L’année prochaine, Carine partirait aussi à la fac et qui sait quand ils se reverraient. Je devrais l’embrasser, se dit-il. J’ai envie de l’embrasser. Mais il ne le fit pas. Ce n’est qu’un jeu vidéo après tout, dit Carine avant d’allumer la console et de lui passer une manette. L’écran titre s’alluma devant eux. John jeta un dernier coup d’oeil à la pièce autour de lui, un autre à son amie. C’est le seul jeu qu’on avait pas encore fini, remarqua t’il. Tout a une fin, répondit Carine en souriant, le regard fixé sur l’écran. Tout à une fin, se répéta t’il, avant de se concentrer sur la partie qui commençait.

Le dernier braquage

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