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Pollo Mundo
12 avril 2018

Du pain pour les oiseaux

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En 2017, Éric Vuillard a offert au monde un objet littéraire et historique, pour lequel il a obtenu le prix Goncourt, édition 2017. Paru chez Actes Sud, cet objet s'intitule L'ordre du jour. C'est le récit de l'ascension d'Hitler au pouvoir, et des hommes qui permirent cette ascension. C'est un petit livre sur les débuts de l'horreur nazie, sur la conquète rapide et courte de l'Europe, par ce petit gesticulateur en uniforme, qui détruit tant de vies sur son passage. Autant qu'il a pu, beaucoup trop. 

La grande roue de l'Histoire est poussée par de petites mains. Le destin du monde est manié par des destins individuels. Notre époque, avide de complots et de toute puissance, est prompte à l'oublier. On aime à croire que les buts finaux des puissants sont muris, préparés, que la sève des conflits est alimentée en sous marin par les puissances de l'argent, qui savent toujours ou elles vont, et qui retombent toujours sur leurs pieds. 

C'est vrai et c'est faux à la fois. Dans L'Ordre du jour, Éric Vuillard nous raconte la tragique épopée de l'ascension d'hitler. Vingt-quatre grands capitaines d'industrie, dont Allianz, Siemens, et Opel, pour ne citer que les plus connus, se sont rassemblés, cette année là. Goering les a rencontré, et leur a promis de belles choses, des promesses que tout patron rêve d'entendre. "Avec nous, les syndiquats disparaitront, et les communistes, et tous ceux qui empèchent la belle économie de tourner. Mais il nous faut de l'aide, mes amis. Les élections sont dans deux mois, et les caisses du parti sont presque vides." Hitler entre dans la pièce. Chaleureux, bonhomme, il serre des mains, prononce un discours sur la grandeur de l'allemagne, il flatte cette assemblée de vieux Messieus, comme on flatte une jument prometteuse, puis vient l'heure de passer à table. Chacun fera don au au parti nazi de plus de cent mille deutsh marks. Cet acte, qui donnera à Hitler les fonds dont il a besoin pour faire campagne, et conquérir l'Allemagne, n'est pas extraordinaire. il est même banal pour les capitaines d'industrie qui n'en sont pas à leur premier pot de vin. Et l'acte des puissants, qui meneront au pouvoir une bète féroce, n'a choqué personne, aujourd'hui encore, personne n'en parle, et les noms Allianz, Opel, Ou Siemens, nous font penser à de grandes compagnies bien établies. Rien de plus. Et pourtant, et pourtant. 

On découvre, dans L'Ordre du jour, les personnes qui ont fait Hitler, qui ont fait du national socialisme ce qu'il a été. Une monstrueuse machine de mort, soutenue par l'état, l'armée, et les grandes entreprises. Un autre chapitre nous précipite dans l'entrevue du chancelier d'Autriche avec Hitler, la veille de l'invasion de cette dernière. On y voit L'intimidation d'Hitler, le fauve jouant avec a proie ; La pression, incensée et incessante, qu'il fait subir à ce petit juriste, raciste et anti-démocrate, pour prendre à soi la politique du Pays. On y découvre les états d'âmes malheureux de ce petit homme, qui cède, puis se rebiffe, pour céder à nouveau, et paiera de sa pitoyable poussée de courage par sept ans d'emprisonnement. Qu'on se rasssure, la prestigieuse université de l'état du Missourri, l'engagera après la guerre l'ancien chancelier d'Autriche, comme professeur de science politique. Il est mort riche, heureux, et citoyen modèle des états unis d'Amérique. 

On y lit la débacle de la Blitzkrieg envers l'Autriche, long embouteillage de chars sur des centaines de kilomètres. Hitler furieux, ratant son planning, la population l'acueuillant en liesse comme le sauveur de l'Europe, de petit drapeaux nazis, dans le bleu du printemps. Les petites trahisons à la liberté, le taux de suicide qui grimpe en flèche. On se mèle, le temps du récit, aux destins de quelques personnes qui ont fait ou (et?) subi cette étrange époque , et le début de l'horreur, dans laquelle fut plongée l'Europe près d'une décénnie. On retrouve, échappé des cours de terminale, le pitoyable Daladier, et son célèbre "Ah... Les cons!" 

Éric Vuillard est un écrivain remarquable. Dès premières aux dernières lignes, la précision de son récit, l'amour qu'il porte aux mots, sont exemplaires. Prenons les premières lignes :

"Le soleil est un astre froid. Son coeur, des épines de glaces. Sa lumière, sans pardon."

Son récit est cousu de fil blanc, et, ne serait-ce que par la virtuosité rare de sa plume, il faut le lire. Curieusement, c'est cette virtuosité qui, parfois, m'a un peu ennuyé. On voudrait, sujet oblige, des déchainements de violence grandiose, mais rien n'arrive jamais. Rien que le récit précis et lent d'une prise de pouvoir à la fois terrifiante et grotesque. La force d'Éric Vuilard est d'enlever à l'Histoire son inéluctabilité et toute romantisation, toute idée de grandeur. Rien n'est arrivé par accident, mais rien n'était vraiment calculé non plus, du moins, par ceux qui auraient pu retarder, ou même empécher l'avènement du National-socialisme. Hitler a eu beaucoup de chance, pour un petit homme nerveux, beaucoup de chance. Il eut pu être bloqué cent fois. Mais la psyché humaine, sa facilité à se soumettre, en a voulu autrement. C'est aussi cette psyché humaine et sa faiblesse inhérente que L'ordre du jour explore. 

La leçon de ce court récit est que les dictateurs n'arrivent pas soudainement, de nulle part. Il a fallu à Hitler les arrangements, les compromissions, les petites lachetés et les gros mensonges de milliers de gens, pour acquérir la force qui lui a permis d'enflammer l'Europe. Éric Vuillard nous rappelle ainsi, par l'écriture, en sondant l'âme humaine de ceux qui ont participé, consciemment ou non, à cette grande catastrophe, que l'horreur n'est jamais bien loin. Qu'elle avance lentement, sûrement, irémédiablement, et que ceux qui y participent de plus prêt en sont souvent absous. Nous rappelerons qu'Hugo Boss, qui habilla les S.S (remarquablement bien, avouons-le) a toujours pignon sur rue, à deux pas de l'opéra de Paris. L'horreur arrive avec le consentement de la majeure partie de la population. Ce n'est qu'après, quand la civilisation renait péniblement du feu et de la cendre, que la culpabilité arrive. 

Il nous faut être prévoyant et attentifs, méfiants envers le pouvoir et ceux qui en sont proches, méfiants envers ceux qui entendet changer drastiquement et d'un seul coup la société. L'horreur n'est jamais loin. Nous sommes toujours à deux doigts de sombrer dans l'abbîme. C'est le message, terrible, angoissant, et calmement énoncé, que nous délivre Éric Vuillard. Et aujourd'hui, plus que jamais, il est à l'ordre du jour de lire L'Ordre du jour. Ne serait-ce que pour se souvenir de ce qu'on a pas vu. De donner, "en guise de pourboire, du pain pour les oiseaux". 

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