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Pollo Mundo
1 mai 2018

Pourquoi Numéro 10 ?

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L'image

Tout d'abord, il y a une ésthétique visuelle et sonore. Un visage, un corps et une voix. Un jeune homme sans âge, blond, habillé comme une kaïra de 2003. Il est grand, il est mince, il est beau. Il a, dans ces clips, une physicalité qui lui confère un charisme certain. Il danse comme un écorché et se force à sourire, mais ses yeux sont tristes. Quand il danse, on voit qu'il a une puissance physique, tempérée, canalisée sans doute, par les kilomètres de oinj qu'il s'envoie dans le gosier pour conjurer une peine dont l'auditeur ne verra que les symptômes, jamais les causes. 

Les décors sont toujours un peu les mêmes et sont un élément clé de l'univers visuel de Numéro 10. Des extérieurs vastes et stylisés, l'île Seguin pour le clip "NRV", et souvent, des chantiers en hauteur, la nuit, complètement vides et impersonnels. Les extérieurs de ses clips refletent, je pense, une certaine vision de la vie. Numéro 10 est comme perdu dans ces endroits vertigineux, avec cette impression de raper seul et pour personne, d'être "un travail en chantier". Il se ballade, paumé entre le luxe et la misère. On peut le voir gesticuler sur la place Vendôme ou seul dans la neige ou dans un tunnel. Le monde extérieur de Numéro dix est fait de tentations alléchantes et de réalité glauque. 

Le monde intérieur de Numéro 10 est traité de la même manière dans ses clips. Sur "Avis de passage", on a un exemple frappant. Une shaky cam nous montre le protagoniste de cet étrange univers dans des intérieurs luxueux, montrant un fantasme, contredit par l'instabilité de la cam. On le voit, roulant des joints, devant la console et les ordis travaillant sa musique. C'est dans ses moments là qu'on le voit sourire d'un vrai sourire franc. Dans son monde intérieur, il y a ce fantasme de réussite, et cette volonté de ne faire que de la musique, avec la drogue comme moteur et antidouleur. 

Notons, pour finir avec le côté visuel, que son sigle est le petit bonhomme de Ralph Lauren, faisant fièrement deux doigts d'honneur, ce qui résume très bien l'atmosphère générale du projet, une envie de porter ces habits de pouvoir, de vivre  place Vendôme, subvertie et infusée par une colère et un refus de cette réussite purement formelle. Une posture de schyzophrénie entretenue par le pétard. 

Le son

Les prods sont mélancoliques, parfois carrément sinistres. Elles vont de pair avec la détresse ambiante des paroles. C'est très moderne, avec une volonté évidente d'émuler les prods actuelles des rappeurs soundcloud U.S. On pense à Lil Uzi Vert, Lil Xan, Lil skies ou encore Xxxtentacion. Il y a un réel esprit Kainri, qui détonne agréablement avec le flow. Les américains sont en plein dans le mumble rap, et Numéro dix a un flow très différent, assez unique mais composé de références précises dont nous allons parler. Notons tout de même le début de la chanson "Avis de passage", ou les petits "hay hay hay" de début de chanson sont une référence directe à  Lil Xan. On peut donc affirmer sans trop craindre de ce tromper une filiation revendiquée.

Cependant, comme dit plus haut, le flow n'est pas du tout du celui des rappeurs soundcloud. On est sur quelque chose de beaucoup  plus brut, de beaucoup plus sale, de beaucoup plus violent. Numéro 10 est arrivé sur la scène rap avec le clip de la chanson NRV, "J'me suis pas levé du bon pied" est donc le premier truc que les gens extérieur à son cercle aient entendu de lui. Ça donnait le ton. Et durant toute la chanson, c'est un flow de plus en plus colérique. Huit syllabes par phases à peu près, parfois dix. La première référence est évidement Booba. Non content d'avoir filmé le clip à Pont de Sèvres, on retrouve cet art de la pause, et cette quasi antimusicalité qui caractérise les sons du DUC, ainsi que, bien sur, cette jouissance dans la violence. 

Parfois, le flow me fait penser à celui de Nekfeu (Y a sans doute des gars qui vont me tomber dessus au coin d'une rue maintenant que j'ai dis ça, en représaille. Maman, sache que je t'aimais) On a tendance à oublier qu'avant d'être le rappeur à jeunes filles blanches qu'il est devenu (et qui ne rêve pas secrètement d'attirer à lui une cohorte de meufs de fac, jeunes, belles, riches, et en pleine floraison ?) Nekfeu avait un flow hyper sale, très, très technique, et aussi très Boobaïen (nouvelle expression) ; D'où cette filiation. C'est une très bonne filiation par ailleurs. Ça met la barre très haut. Et Numéro 10 relève son propre défi avec brio. Autant, après quelques écoutes, NRV peut lasser, autant j'ai du écouter cent fois "Mauvais tirage", plus subtile, plus technique. Mais les sentiments sont bien plutôt véhiculés par les paroles, et on va s'y coller, parce qu'il y a beaucoup à dire. 

Les paroles

On pourrait s'amuser à relever toutes les références à Booba mais vraiment ça prendrait trop de temps. Une d'entre elle m'a frappé, et je ne mettrai que celle ci : "J'ai un C.A.P mais j'suis pas content" qui rappelle  "J'voudrais remercier mon E.P, nique ça mère mon B.E.P."

Avis de passage est une étude en noire. l'absence d'amour rayonne d'une lumière sombre tout au long de la chanson. Numéro dix baise des filles sans tomber amoureux. Il est trop défoncé. Il ne vit que des cauchemars. Il est piégé dans sa propre matrice créatrice, qui le pousse à se concentrer uniquement sur ce qu'il y a de pire. On entend sur ce son un manque de confiance absolu à l'égard de l'humanité ainsi que la détresse de ne pouvoir ressentir de l'amour. Sexe, drogue et solitude. Il aime sa mère et il n'aime qu'elle "y a que ma mère qui m'appelle Xavier", il a peur de son père "Pour moi le daron c'est comme le parrain" mais pour les femmes, il n'a aucun sentiment. Et comme toute la longue lignée de romantiques tournés cyniques (Gainsbourg, Booba, ou encore Damso) il en souffre beaucoup.

Deux thèmes s'entretiennent l'un l'autre, le cauchemar et la drogue. Numéro dix est dans une spirale d'autodestruction dans ses textes. Le shit relaye la beuh, qui relaye la vodka mélangée au champagne Tintager dans une litanie permanente, à en croire son compte instagram, on est loin de la fiction. "Croissant au beurre, il est 13 heures". La drogue est un moteur artistique connu, mais il enferme son consomateur dans un cauchemar permanent. Je le sais parce que je l'ai fait. En 2016, je devais fumer 5 ou 6 pet' par jour, et je vivais dans un bad trip constant, des angoisses cauchemardesques, des paranoïas, des certitudes que j'allais mourir. Numéro 10 est tristement conscient de ça. Et ce rapport anxieux, conflictuel, avec ce qui constitue à la fois un moteur et un frein, l'accable profondément : la figure du cauchemar, alors, dépasse sa propre vie et va jusqu'à éclabousser les personnes qu'il aime ; "J'suis un cauchemar pour la daronne".

"Mélange vodka et tattinger" Parlons de cette phase. J'y vois une double attitude vis-à-vis du succès. Comme si Numéro 10 ne savait pas si il voulait vraiment percer, car ce serait, pour une raison ou une autre, une sorte de trahison. Alors, on pervertit le champagne, alcool typique de la haute société, en y ajoutant de la vodka ; Alcool de blé ou de pomme de terre, alcool de prolo russe qui s'autodétruit. On peut entendre des références au habits du pouvoirs "Ralph Lauren", mais aussi à la nourriture des pauvres : "Depuis les vaches qui rit, le mêmes fréquentations". Cette phase nous renseigne un peu plus sur ce rapport inquiet à un succès non seulement possible, mais aussi probable, au vu du caractère potentiellement fédérateur du personnage : La loyauté est une composante importante de l'univers de Numéro dix, et c'est également la première qualité à être mise à l'épreuve quand le succès arrive. Peut-on dès lors parler d'auto sabotage ? Qui fume énormément se sabote lui-même, et qui fume énormément sait mieux que quiconque à quel point il se sabote. Le rapport de Numéro dix au succès est ambivalent, et c'est là une caractéristique singulière du personnage. Alors que Booba se vante de ses 0 défaites, de son succès permanent, et n'a aucune honte à le faire, on ressent chez Numéro 10 ce conflit face au succès, qu'il va peut-être un jour falloir adresser. 

Pour conclure

j'ai dit plus haut que Numéro dix avait de grandes chances de percer. Je le crois et je l'espère. Dans un monde de positivité permanente et pénible, c'est rassurant, c'est reposant, un rappeur qui accepte, non pas uniquement la négativité (ça, de nombreux rappeurs le font très bien) mais également ses propres faiblesses et limitations, qui se bat avec la finitude , la difficulté à vivre quand on est absolument pas taillé pour un job normal, cette crainte de mourir avant d'avoir percé, cette crainte de changer si on perce, ce désespoir, melé à cette étrange fierté, quand à une consommation de drogue qui ne fait illusion sur personne, et certainement pas sur lui.

Dans sa propension à rapper ce qui le fait souffrir, Numéro 10 se crée, sous nos yeux, un personnage résolument humain, et, comme je l'ai dit plus haut, fédérateur. Tout le monde souffre. C'est le principe premier qui unit l'Art à la Philosphie et à la Religion. Dans cette tentative désespérée de conjurer, de sublimer cette soufrance, Numéro dix nous ressemble, et on aime ceux qui nous ressemble. 

Voilà pourquoi Numéro dix. 

Liens : 

 

Numero 10

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