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Pollo Mundo
18 mars 2020

La Geste du chat noir ( Journal de confinement #4 )

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Il est midi et demi en ce premier jour de vraie quarantaine. Je suis en bas de la résidence de ma grand-mère et je cherche le chat Kiwi. J'encrais des parchemins, quand la grand-mère est venue me voir pour me dire qu'il avait disparu et qu'elle était très inquiète. "Tiens, ça ressemble à une quète, me suis-je dit, voilà une bonne occasion d'exercer ma Virtu."  

On a cherché dans l'appart, mais rapidement, j'ai compris qu'il n'était nulle part. Kiwi a une manière de respirer particulière, qu'on entend de très loin. Un peu comme si il avait les bronches bouchées. La théorie, c'est qu'un gros chien l'a choppé à la gorge quand il était petit. 

À part ça il est très mignon. C'est un petit noireaud avec une tache blanche en forme de batman sur le poitrail. Il est plutôt chétif, avec un dos tordu, de grands yeux et de grandes oreilles. Et c'est le chat le plus gentil qui existe. Si vous tendez la main il foncera dedans pour vous faire un calin de tête, et commencera à ronronner. 

J'escalade la grille du jardin qui est fermée. Le grillage est juste un peu trop haut pour pouvoir le faire facilement. Les mains tremblent un peu mais ça passe. "Pas si simple, cette quète", me dis-je en regardant dans les buissons et sur les balcons. Alors que je perds espoir. Un bruit faible me parvient de sous un petit fourré. Un bruit comme : "Nyah!" Je tourne la tête, c'est le petit Kiwi, installé sous le balcon du rez de chaussée. 

Je le prends contre moi, il ne se plaint pas. Arrivé devant la grille, je me rappelle qu'elle est fermée. me voilà bien. Je ne vais pas escalader avec un chat sous le bras. Je pose mon passager par terre, lui intimant de ne pas bouger. Mais alors, se trainant sur trois pattes, il va se réfugier sous un buisson. "Merde, il a une jambe cassé. " Pensé-je, assombri.

Je réescalade la grille pour aller sonner chez le gardien. Elle commence bien cette quarantaine, je suis déjà en train de foutre le bordel. 

Le gardien, responsable, ne répond ni à mes coups de sonettes, ni à mes trois "boums boums" autoritaires. Je reviens devant la grille. Quand la diplomatie n'a plus cours, reste la violence, me résigné-je en prenant un peu d'élan, avant d'envoyer mon pied tout droit juste à coté de la serrure. La porte saute sans presque une résistance. " Un problème de résolu !" me félicité-je. 

Je retrouve le chat Kiwi, bien mis dans un coin du buisson dur à atteindre. J'en appelle à sa raison. 

"_ Kiwi arrête de faire le con, tu t'es fait mal, faut que je t'emmène chez le véto ! 

_ Nyah ! 

_ Allez sois sympa sors de là ! 

_ Nyah !"

L'heure est à l'amour vache. D'une main, je le saisi par le cou et le sors du buisson. Je le cale doucement contre mon flanc pour qu'il ne s'échappe pas. Il se tord en tout sens malgré, j'imagine, le choc et la douleur. "Les chats sont de vrais durs à cuire", pensé-je, en remontant les escaliers. 

J'enferme Pilou dans la cuisine, qui pensait que c'était l'heure de jouer avec le petit qui traîne la patte. Kiwi s'est réfugié sous mon lit. Il se repose sur ma housse de guitare. Aidé par Internet, mon compagnon au savoir encyclopédique, j'appelle un vétérinaire, puis un autre. Au troisième essai, une voix féminine me répond. "Si il a la patte cassée, prophétise mon interlocutrice, il faut l'emmener à Vélizy, au centre Advencia, où ils l'accueilleront."

J'appelle un VTC. Le capitaine du véhicule, Vlad, est un roumain. Je dirais qu'il a la quarantaine finissante. Long et sec, bien rasé, dans un costume noir. Il repère Kiwi tout de suite. "Ah ! On va à Vélizy avec le chat !" Nous conversons pendant le chemin. Les chauffeurs travaillent bien, m'explique t'il. Il y a encore beaucoup de gens qui doivent se déplacer. "La rue de Rivoli monsieur je vous assure, elle est complètement vide." 

Je regarde autour de moi. C'est vrai qu'il n'y a personne sur cette grande nationale. Un camion ou deux, un motard. Le complexe industriel de vélizy, habituellement si fourmillant, est désert. Vlad et moi sommes impressionnés. Kiwi lui même retient sous souffle.

Je souhaite bonne chance à mon compagnon de voyage et entre dans le centre. Un grand cube industriel. L'intérieur est blanc, espacé, futuriste, mais des sièges de bois adoucicent l'atmosphère, émoussent son tranchant. Derrière le bureau, une Jeune femme, masquée et gantée, prend le panier de chat. Elle a de grands yeux noirs et de longs cheveux frisés. Je la devine belle derrière son masque. "Garde la tête froide, m'intimé-je sans ménagement, tu as une mission."

Elle revient, et m'enjoint d'attendre dans ma voiture. "Mais je suis venu en VTC." Elle me regarde d'un air déçu, comme si elle attendait de moi que je sois venu avec mon propre véhicule. Mince, me dis-je, je n'aurai pas la quète à 100%.

"_Bon, alors allez dans le coin la-bas et n'approchez personne s'il-vous-plait.

_ Bien madame."

Je me dirige dans le coin, qui est confortable, et me donne une vue sur l'ensemble des activités du centre. Des vétérinaires vont et vient, parfois avec un chariot. Au loin, derrière un couloir, j'entends les cris d'un chat. "Résiste, camarade félin.", me dis-je, puis je serre la mâchoire.  

Plus tard, un médecin pour chat me demande de le rejoindre dans son bureau. Il m'explique que Kiwi, pour les circonstances, va bien. Il s'est démis la hanche, mais ils vont essayer de lui remettre. Il s'est aussi rompu les ligaments croisés. Devant mon expression horrifiée, le sage Guérrisseur se reprend. "Mais tout ça est soignable, et sa vie n'est pas en danger." Ils vont le garder trois jours. "Le chirurgien verra si il faut opérer. Il vous appelera demain." Je pars du centre avec, en main, un parchemin dument signé du guérisseur. J'appelle un nouveau VTC. 

Alexeï arrive en me faisant des appels de phare. Ce jeune russe me ressemble comme deux gouttes d'eau. Même genre de cheveux implantés en golfe, même peau blanche, même visage rond, même barbe clairsemé.  Il parle avec énergie tout le long du trajet. C'est un jeune homme plein de fougue.

" _Moi j'ai ma femme et ma fille, il est marrant Macron mais j'ai pas le budget d'une multinationale pour arrêter de bosser! Ils vont me faire des reports de charges mais encore heureux ! Non je vous le dit j'ai pas cravaché toute ma vie pour me faire avoir par un putain de virus c'est mort.

_ Excusez-moi, vous avez quel âge si ce n'est pas indiscret ? 

_ 26 ans ! On vient d'emménager là. C'est pour ça que le Coronavirus ça casse les couilles !

_ Vous louez ? 

_ Pas du tout on achète ! 

_ Ah oui, parce que vous avez votre fille qui arrive. 

_ Non non, elle a six ans ma fille ! Je l'ai eu tôt je sais. Oh c'était un accident on va pas se mentir, sa mère elle m'a dit "on la garde" alors j'ai assumé hein. De toutes façons ça me faisait pas peur je savais que j'aurais des enfants jeunes, j'adore les gosses, j'adore jouer, retomber en enfance. Je pensais que j'en aurais vers vingt-quatre ans, mais bon au final c'est pareil. Moi j'ai commencé à bosser à quinze ans alors les responsabilités ça me connait."

Je suis émerveillé, Alexeï me ressemble comme un frère, et pourtant il est mon opposé parfait. "Quel être admirable, me dis-je. Je suis sûr que c'est un lion." Le reste du trajet, nous continuons notre conversation. Lui me parle des champs-Élysée. Il m'avoue qu'on se croirait dans le film "Seuls Two" Je repense à l'étrangeté de ces plans d'un Paris désert, et concède que ça doit être impressionant. "Vous avez pas idée monsieur. " Alexeï est arrivé. Nous nous souhaitons bonne chance sur la Voie, et nous nous séparons.

Je rentre dans la cuisine et me lave les mains. "Dans tes dents, Coronavirus !", m'exclamé-je, satisfait. Puis, je pars conter la Geste de Kiwi à la grand-mère qui m'avait donné cette quète. Pour me remercier, elle m'offre un "Plastron émaillé Nv+". Le chat est sauvé. Ce soir, le village dormira sur ses deux oreilles. 

 

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