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Pollo Mundo
30 novembre 2017

Zizek à Bruxelles

bruxelles

"Une pensée véritable est toujours décentrée ; on ne pense pas spontanément, on y est contraint."

Slavoj Zizek, c'est compliqué. Ce n'est pas un auteur qu'on emmenerait spontanément à Bruxelles pour un week-end ; et à vrai dire, ce n'était pas spontané. Pour décider quel livre emmener (je sentais confusément que les légumes du docteur Greger jureraient avec le décor), je fis un Plouf Plouf, comme dans les jeux d'enfants. Comment faire autrement, puisque l'art est un Jeu? Mon doigt atterit sur La subjectivité à venir, une collection d'essais écrits entre 1998 et 2004 ; un opus passionant, complexe et difficile, que j'avais déjà lu deux fois. Il y avait, sur mon étagère, nombres de livres que je n'avais jamais lu et qui m'attendaient, mais le Plouf Plouf avait parlé. 

J'écris ces lignes dans le bus. Les arbres qui bordent l'autoroute sont rouges et oranges, c'est le plein Automne. Compiègnes est à trente kilomètres. Il est onze heures. Sur la grille longeant la route, j'ai vu une buse assise tranquillement, un bon présage. À coté de moi, Carine dort, elle ne peut pas lire dans les transports. Je me dit que je suis bien loti. Dans le bus, Zizek me parle du sujet interpassif. Il me dit que le sujet le plus actif est toujours le sujet passif d'un autre. Dès lors : 

"La structure élémentaire et constitutive de la subjectivité est la structure hystérique. C'est à dire dans la mesure ou l'hystérie ne se défait pas de la question inconsciente : Que suis-je en tant qu'objet?"(Aux yeux de l'Autre, pour le désir de l'Autre)"

Par exemple, quand je regarde une sitcom, les rires pré-enregistrés prennent en charge l'amusement à ma place. Quand je regarde un porno, les acteurs et actrices prennent en charge ma jouissance _ Est-ce qu'on sait que les dépendants à la pornographie sont nombreux à souffrir de troubles erectiles ? Drôle de lecture, pour un voyage en Belgique. 

Il fait froid à Bruxelles, nous arrivons à la gare du Nord. Nous marchons jusqu'au quartier africain ou vivent Capucine et son copain Doezval. Les grandes artères ressemblent à Berlin, vastes et modernes, tandis que les petites rues ressemblent à l'idée que je me fais de la vieille europe du Nord. De petits immeubles, des rues pavés, des batiments de pierre ancienne. 

Bruxelles est un long nuage gourmand. Le premier soir, près d'une baraque à frites, odeur de graisse de boeuf. Le petit cornet de frites est grand, le grand est gigantesque. Doez prend un grand, avec du cervelat, je prends le petit, avec une sauce au curry et une autre à l'aïoli. Nous buvons de grandes rasades de bières avec notre en-cas. Il est dix-sept heures.  Des camionettes vendent des gauffres un peu partout ; parfum gourmand de beurre et de caramel. Les bars à bières ont une odeur fade et prenante d'alcool, des parfums de tripot. Les gens sont aimables, jeunes et bien élevés, mais j'imagine sans peine les vieux marins et leur pute sur les genoux, dégoulinant de bière.

La bière est moins chère que l'eau à Bruxelles. 

Parfums de Coriandre et d'épices dans le quartier asiatique. Au marché de Noël, un commerçant vend de la raclette. Odeur de fromage fondu, de pain et de caramel. Nous cherchons un bar, mais tous sont plein de joyeux buveurs de bières. je sens une ambiance plus détendue qu'à Paris. C'est dans l'air. Le quartier africain est plein de bonnes odeurs, d'épices et de poulet. Nous atterrissons au booze n'blues, un vieux bar minuscule tenu par un couple d'anciens roadies. La femme est large et chaleureuse, le mari (est-ce vraiment son mari ? je ne sais pas) est grand, mince, et a gardé les cheveux longs de sa jeunesse. Nous buvons des bières, mangeons du saucisson de sanglier, et revenons périodiquement vers le jukebox pour décider des prochaines chansons. Du blues, du Rock, David Bowie, les Doors. Il y a un oracle, qui pour vingt centimes prédit l'avenir, à l'aide d'une flèche qui tourne et s'arrête sur une case. "Tout marche à vos souhaits." 

Nous repartons, éméchés. Passant par le quartier asiatique, nous nous arrêtons pour des ramens, que personne n'arrive à finir, malgré les mélanges délicieux d'herbes aromatiques, de bouillon et de pâtes. Revenus chez Capucine, nous buvons de petits verres de chartreuse jusqu'à deux heures du matin en écoutant des vinyles de Pink Floyd. 

Si Capucine a des yeux de renarde, sa cousine Pauline a des yeux de chat. Elles ont toutes les deux le rire facile et enjailleur, mais Pauline a un regard pas commode, qui rend d'autant plus décalé son caractère agréable. Pauline travaille dans une galerie d'Art, dans le quartier des antiquaires. On y donne un brunch en l'honneur de l'artiste Sylvain. Je commence la journée au champagne avec des quartiers d'orange. Nous partons marcher, la galerie est trop chaude et je m'y endors. Le froid nous réveille, odeur de café, nous la suivons. Les épiciers brusseleirs proposent du café à emporter pour un euro. Que ça fait du bien ! Ça soigne de la chartreuse d'hier et ça réchauffe. On tient le verre en carton des deux mains, et on renifle le café avant de le boire. Capucine nous rejoint, nous allons manger une gauffre. Le quartier des antiquaires est plein de galeries d'Art, de friperies et de petits restaurants. Nous buvons, en fin de journée, une dernière bière au Délirium, puis nous rentrons chez Doez et Capucine. Elle nous fait un boeuf bourguignon. Odeurs de Marijuana, un peu partout dans Bruxelles.

Le boeuf mijote pendant trois heures. Lorsque je soulève le couvercle pour le sentir, le vin qui cuit me pique le nez. Nous le dégustons avec des pommes de terre et du vin. Odeur lourde de sauce et de viande. Le lendemain, c'est le dernier jour et il pleut à torrent. Nous marchons sous la pluie, passant devant le musée Magritte. Je me dis que je pourrais vivre ici. Pour 1200 euros de loyer, Capucine et Doez ont un cent mètres carrés. C'est autre chose que nos trente-sept mètres carrés parisiens. il y a des plantes partout chez eux. Je veux des plantes moi aussi. Nous nous arrêtons au Pain Quotidien pour un bon chocolat chaud. Il est presque temps de rentrer. Je suis très heureux d'avoir revu Capucine. Elle a un rire qui met de bonne humeur et aime prendre soin des gens. J'espère qu'elle aura des enfants. Il fait nuit noire et il pleut. Nous reprenons le car à Gare du Nord, c'était trop court. 

Dans le trajet du retour, je reprends La subjectivité à venir. J'y apprends que la réalité est objectivement subjective : "Elle tient lieu d'objectivité en tant qu'elle est construite et médiatisé par la subjectivité" et que le fantasme est subjectivement objectif : "Il désigne le contenu le plus intimement subjectif, un produit de l'imagination, qui paradoxalement est "désubjectivé", rendu inacessible à l'expérience immédiate du sujet."

C'est drôle, que le fantasme soit masculin et la réalité féminine, mais ça ne m'étonne pas trop. Une chose est sûre, je n'emmenerai plus Zizek en vacances. 

 

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